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De mémoire d'Archives - Les bouchonneries en terre du Var : une histoire industrielle et sociale

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En mai 2024, la mairie de Gonfaron a remis aux Archives départementales du Var des documents retrouvés dans un local communal. Il s’agissait des archives de Joseph Carrassan (1889-1964), industriel et propriétaire, membre d’une famille de bouchonniers. Il fut également maire de Gonfaron entre 1929 et 1944. Intégrées aux archives privées, ces archives portent désormais la cote 173 J. Si la plupart des documents concernent les affaires de la famille, le fonds contient également un carnet de photographies représentant le stockage du liège et des ateliers de fabrication de bouchons à Gonfaron. Ces images sont un témoignage exceptionnel sur une industrie typique de notre département, celle du bouchon de liège.

Les bouchonneries en terre du Var : une histoire industrielle et sociale

L'histoire de l'industrie du bouchon, liée à la culture du chêne-liège, est une activité traditionnelle qui remonte à plusieurs siècles. Reposant sur un savoir-faire transmis de génération en génération, elle est une véritable tradition artisanale qui a marqué économiquement et socialement le département du Var, un des principaux centres de production de liège en France.

De l’écorce au bouchon 

La matière première est le chêne-liège, le Quercus suber, arbre typique qui se développe autour du bassin méditerranéen. Dans le Var, c'est dans les Maures, l'Estérel, la Colle du Rouët, le Tanneron, et quelques parcelles autour de Toulon qu’il se concentre.
Il est exploité pour son écorce, très prisé pour ses propriétés d’imperméabilité et d'élasticité, utilisée essentiellement pour la fabrication du liège.

Pour parvenir à une matière utilisable, et à la fabrication des bouchons, plusieurs étapes d’un travail méticuleux et organisé sont nécessaires.

1- La levée ou récolte
Elle se pratique par l’écorçage manuel à l’aide du "Picoussin" (petite hache spécifique) sur des arbres ayant atteint 25 ans.

Trois récoltes sont nécessaires :
- le "Démasclage" pour retirer le liège dit "mâle" première écorce (revêtements, isolation) ;
- la récolte du liège dit de "première reproduction" (isolation, dérivés) ;
- la récolte du liège dit "femelle" (fabrication de bouchons).
Ces récoltes se font tous les 9 ans.

2- Transformation du liège en bouchons
Les étapes de transformation en bouchonneries : bouillage (désinfection et assouplissement), stabilisation (le séchage), classement (qualité et épaisseur), découpe en bandes puis en cylindres (le tubage), traitement à la paraffine (étanchéité), marquage (nom ou logo), et contrôle qualité.
Les bouchons finis sont emballés et stockés avant expédition.

Du plein essor au déclin
Souvent de petites structures familiales de taille modeste, les fabriques de liège étaient généralement situées dans des villages entourés de forêts de chênes-lièges, comme Collobrières, La Garde-Freinet ou Gonfaron.
Si le travail y était dur, ces lieux de labeur, essentiels pour de nombreuses familles, contribuaient largement à l'économie locale et façonnaient le tissu social des villages varois.

On dénombrait, dans les Maures, de 77 à 135 établissements entre 1847 et 1912.
Certaines bouchonneries varoises ont su prospérer comme l’entreprise Demuth, fondée en 1871, (200 employés au Muy, 60 aux Arcs) avait son siège à Paris ; ou Mouriès créée en 1841 (120 ouvriers à Vidauban) ; souvent des Italiens ou Espagnols du fait de l’immigration qui s’intensifie à la fin du XIXe et majoritairement des hommes car les tâches étaient rudes.
A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle la mécanisation de l'industrie bouchonnière a permis l’emploi des femmes dans les étapes moins physiques de la production.

Au début du XIXe siècle l'industrie du liège a pris un essor considérable avec la demande croissante de bouchons pour l'industrie vinicole mais aussi pharmaceutique comme celle du parfum.
Le Var est alors devenu l'un des principaux producteurs de bouchons en liège en France (La Garde Freinet, le Muy, les Arcs, Gonfaron) avec une clientèle qui s’étendait au niveau national et européen.
Puis le développement des voies de communication - (route de Toulon à Saint-Tropez par la Môle en 1841 - chemin de fer de Toulon à Saint-Raphaël en 1860) - a permis de désenclaver le massif des Maures et l’ouvrir au commerce international, facilitant ainsi l’importation de la matière première du Maghreb et des péninsules ibérique et italienne.

Dynamisées, les communes ont vu leur population augmenter comme par exemple Le Muy dont le nombre d'habitants a doublé entre 1765 et 1851, atteignant 2279 habitants.

En 1917, cent millions de bouchons sont exportés, (Angleterre, Égypte, Japon Amérique). Et pourtant ! Alors qu’elles étaient dotées de tous les atouts pour réussir (matière première sur place, savoir-faire, ouvriers...), les bouchonneries varoises vont être fragilisées par des événements et des éléments qui entraînèrent leur chute : la concurrence et la domination étrangère, la modernisation des techniques et la première guerre mondiale ont porté un coup fatal aux bouchonneries varoises.
S'ensuivit alors un exode rural, les jeunes allant chercher du travail dans les villes ou dans d'autres secteurs d'activité, nombre de villages se vidèrent aggravant les difficultés économiques locales.

C’est alors que les révoltes surgirent et grondèrent, notamment à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, nées des conditions de travail difficiles, de la pression économique croissante et des inégalités sociales.
On peut noter 2 grands mouvements de grève :
- en 1892 à Gonfaron où l'industrie du bouchon était particulièrement développée
- en 1907 dans le secteur de Collobrières.
Malgré ces mouvements parfois violents, les conditions de travail des ouvriers ne se sont jamais vraiment améliorées, la fermeture de nombreuses bouchonneries s’intensifia.

Malgré son déclin, l'industrie du bouchon a laissé un héritage culturel et patrimonial important dans notre département, comme l’Écomusée du Liège de Gonfaron, l'usine à bouchons à Pierrefeu…) D’autres comme Collobrières, sont encore associées à cette tradition et organisent des événements pour célébrer cette histoire.

 

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